Rapport: Sur la situation au Niger et les tensions intergouvernementales au sein de la CEDEAO

Télécharger le rapport. Lee el informe en español. Read the report in English.

L’effet domino au Sahel : coup d’État au Niger

Les changements politiques au Sahel, dont sept coups d’État dans la région au cours des trois dernières années et l’expulsion du personnel militaire français du Mali et du Burkina Faso en 2022, remettent en question l’influence de la France et, par extension, celle des puissances occidentales. Le Niger est un allié de la France et de l’Union européenne (UE), situé dans une région en proie à la violence islamiste. La France avait quelque 1 500 soldats dans le pays, engagés dans la lutte contre le terrorisme. Le Niger est également un pays stratégiquement important pour les grandes puissances, car il est le principal fournisseur d’uranium de l’UE – une matière première abondante au Niger, qui possède 5 % des gisements mondiaux. C’est pour cette même raison qu’il est au centre de tensions géopolitiques.

Ces dernières années ont été marquées par de fortes tensions entre les forces démocratiques et antidémocratiques. Les changements politiques au Sahel, dont sept coups d’État dans la région au cours des trois dernières années et l’expulsion des militaires français du Mali et du Burkina Faso en 2022, remettent en question l’influence de la France et, par extension, celle des puissances occidentales.

Le conflit politique

Le 26 juillet, un groupe de la Garde présidentielle nigérienne appelé Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), dirigé par le général Abdourahmane Tchiani, a orchestré un coup d’État et descendre le président élu Mohamed Bazoum. Tchiani s’est proclamé président après avoir suspendu la constitution, les institutions gouvernementales et fermé toutes les frontières du pays. La garde présidentielle retient le président et sa famille.

Le coup d’État a plongé le pays et la région du Sahel dans une crise qui s’ajoute à celles provoquées par les coups d’État précédents, avec l’implication de mercenaires du groupe Wagner, une société militaire privée financée par la Russie.

L’opinion publique a été divisée entre ceux qui soutiennent le président Bazoum et ceux qui soutiennent la junte militaire, invoquant sa capacité limitée à répondre à l’insécurité chronique aux frontières du pays. Le conflit combine des éléments historiques, tels que le colonialisme, économiques et politiques avec une forte dimension géopolitique. Des drapeaux russes ont été déployés lors des manifestations organisées par la junte militaire. Bien que cela puisse être inquiétant pour l’UE et la France, il faut comprendre que la tension géopolitique pousse les Nigériens à rejeter l’influence de la France sur eux. C’est pourquoi ils soutiennent la junte militaire. La démocratie est moins importante pour eux aujourd’hui que la nécessité de lutter contre un gouvernement qui, selon eux, est de connivence avec le gouvernement français et ne travaille pas dans leur intérêt. Bien que les coups d’État ne soient techniquement pas démocratiques, les célébrations montrent les désirs d’un grand groupe de Nigériens puisqu’ils considèrent que c’est la seule alternative. La démocratie représente un gouvernement soutenu par la France, tandis que l’alternative semble indigène, mais avec des hommes en uniforme militaire.

La réaction de l’opinion publique a été divisée entre ceux qui soutiennent le président Bazoum et ceux qui soutiennent la junte militaire , invoquant sa capacité limitée à répondre à l’insécurité chronique aux frontières du pays. Le conflit combine des éléments historiques, tels que le colonialisme, économiques et politiques avec une forte dimension géopolitique. Des drapeaux russes ont été déployés lors des manifestations organisées par la junte militaire.

Le débat critique sous-jacent

Les élites urbaines africaines et les intellectuels critiques en Europe parlent d’un processus de révolution anticoloniale. Les Sahéliens, fatigués de dix années d’intervention française qui n’ont fait qu’accroître la violence et répandre le terrorisme dans toute la région, évoquent la françafrique.

La Françafrique est définie comme un régime de relations internationales complexes de dépendance mutuelle entre l’Afrique et l’Europe. Deux rentes y sont capitalisées : les matières premières – par les puissances occidentales – et l’aide publique au développement – par les dirigeants africains. Il s’agit d’un terme postcolonial, inventé par Félix Houphouët-Boigny, cofondateur de la Cinquième République française, ancien ministre français et fondateur de la Première République de Côte d’Ivoire. En 1992, François Xavier Verschave l’a cependant redéfini en expliquant le système colonial.

Il repose sur trois piliers principaux : le pilier économique, commercial et financier (relations commerciales asymétriques, veto français sur le franc CFA, priorité commerciale,…) ; le pilier militaire (externalisation de la sécurité, casernes françaises autour de ses anciennes colonies,…) ; le pilier culturel (la francophonie, le modèle éducatif français, les médias français,…). Le seul pilier qui a été éradiqué est le pilier juridique de la dénomination du territoire d’outre-mer, bien qu’en pratique le modèle soit plus proche du modèle colonial que du modèle indépendant.

Ces dernières années, le sentiment anti-français et un mouvement social et politique demandant le départ des Français se sont développés. Cela peut s’expliquer en partie par l’arrivée d’autres puissances, qui découle de la création d’un nouvel ordre géopolitique multipolaire.

Qu’est-ce qui risque de se passer ?

L’UE, les États-Unis, l’Union africaine et la CEDEAO ont condamné le coup d’État. Toutefois, ils n’ont pas fait preuve d’un grand pouvoir coercitif après que les chefs militaires ont défié les demandes internationales de réintégrer le président renversé, bien qu’une intervention militaire ait été évoquée comme une possibilité, même si la menace n’a pas été mise à exécution.

Le 30 juillet, lors du sommet extraordinaire d’Abuja, au Nigeria, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), composée de 15 pays, a lancé un ultimatum de sept jours indiquant qu’elle engagerait une action militaire si la junte ne rétablissait pas le président légitime, Mohamed Bazoum, au pouvoir. Mais la junte a fermé l’aéroport pour empêcher une intervention de la CEDEAO. La capacité de coercition de la CEDEAO est limitée, même s’il s’agit de la communauté économique qui dispose du plus grand nombre d’instruments et de ressources pour résoudre les conflits dans la région. Le bloc est divisé, les voisins du Niger – le Mali et le Burkina Faso – dirigés par des juntes militaires ayant déclaré qu’une intervention militaire équivaut à une déclaration de guerre et qu’ils défendront le Niger en cas d’intervention. La junte militaire guinéenne a également publié un communiqué soutenant la junte nigérienne, tandis que le Nigeria a mis en garde contre les implications d’une intervention au Niger et les conséquences pour la stabilité de la CEDEAO.

La CEDEAO (notamment le Nigeria et le Benin) a également fermé ses frontières avec le Niger après avoir suspendu l’approvisionnement en électricité de ce pays. La position récente de la CEDEAO est en grande partie le résultat du leadership de son nouveau président, qui est également le président nigérian, Ahmed Bola Tinubu. Dans son discours d’investiture il y a trois semaines, le président Tinubu a défini sa présidence de la CEDEAO comme une présidence où les coups d’État ne seraient pas autorisés. C’est ce qui a conduit le Nigeria à adopter une position ferme contre le coup d’État au Niger et à prendre la tête du bloc de la CEDEAO pour rédiger l’ultimatum à l’intention du Niger. Par rapport aux années précédentes, cette position est unique car le bloc n’a fait que condamner les coups d’État qui se sont produits depuis 2020 sans s’impliquer militairement. Les dirigeants militaires et présidentiels du Nigeria sont soupçonnés d’avoir créé la confiance nécessaire pour que la CEDEAO prenne la position qu’elle adopte.

Le CNSP, la junte militaire intérimaire du Niger, entend juger Mohamed Bazoum pour “atteinte à la sécurité intérieure et extérieure du pays” à travers des échanges entre nationaux, chefs d’Etat étrangers et responsables d’organisations internationales.

Dimanche, la CEDEAO a également reporté à une date indéterminée une réunion visant à définir les détails opérationnels de la force en attente, invoquant des problèmes logistiques liés au trafic aérien. Des tensions internes ont été évoquées comme raison possible de ce report.

L’organisation internationale Human Rights Watch a déclaré que les chefs militaires devaient respecter les droits de l’homme fondamentaux et libérer les détenus, en recherchant une solution politique qui rétablisse la démocratie et le pouvoir civil.

Les implications humanitaires sont considérables car les sanctions affectent directement la population et une action diplomatique pour désamorcer la tension est nécessaire. Selon ReliefWeb, quelque 4,3 millions de personnes (17 % de la population) ont besoin d’une aide humanitaire. Toute démarche diplomatique doit inclure un soutien au Niger pour qu’il gère ses ressources naturelles de manière à ce qu’elles soient distribuées équitablement et qu’elles puissent bénéficier à la nation et à ses citoyens.

La France et l’UE ont suspendu leur aide économique et humanitaire. L’UE devrait décider d’une réponse coordonnée lors du sommet informel de Tolède le 31 août. Le conflit reste ouvert.

*Cette analyse a été élaborée à la demande de l’Assemblée permanente de la Porte de l’Afrique et à la suite d’un débat ouvert entre des jeunes d’Espagne et des États membres de la CEDEAO.

Leave a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Scroll to Top